Année de production 2025 – France-Belgique   – Durée 2 h 2 min – Venezia 82 Concorso
Avec  Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Pierre Lottin, Denis Lavant, Swann Arlaud

par Roberto Tirapelle

Albert Camus, réinterprété par François Ozon, qui n’hésite pas à prendre des risques avec ce chef-d’œuvre littéraire. Le résultat est captivant et exprime le mystère existentiel du personnage principal. Les autres protagonistes rendent parfaitement compte du sens de l’histoire

SYNOPSIS: Alger, 1938. Meursault, un jeune homme  d’une trentaine d’années,  modeste employé, enterre sa mère sans manifester la moindre émotion.  Le lendemain, il entame une liaison avec Marie, une collègue de bureau. Puis il reprend sa vie de tous les jours.  Mais son voisin, Raymond Sintès vient perturber son quotidien en l’entraînant dans des histoires louches jusqu’à un drame sur une plage, sous un soleil de plomb…

François Ozon, réalisateur, scénariste et producteur français, est un cinéaste qui réalise, écrit et produit généralement ses propres films. Il varie constamment les genres à chaque œuvre, réalisant un film par an. Avec L’Étranger, son vingt-quatrième long métrage, il s’attaque à l’un des textes littéraires les plus importants du XXe siècle, écrit par Albert Camus.

Ozon relève un défi cinématographique de taille, déjà tenté par Luchino Visconti en 1967 avec un résultat peu convaincant, malgré la vaste expérience du réalisateur en matière d’adaptations littéraires. De plus, il réunit à l’affiche deux acteurs de renom : Marcello Mastroianni et Anna Karina.

Nous pensons que Ozon a été poussé à s’attaquer à l’histoire de Meursault pour tenter de le comprendre, de percer son mystère. Le réalisateur déclare : « Je savais que le livre me toucherait profondément. » Et non seulement la complexité du personnage nous imprègne d’existentialisme – un réalisateur comme Antonioni vient immédiatement à l’esprit –, mais il y a aussi la nécessité de saisir l’atmosphère de l’Algérie des années 1930 et de la transmettre à l’esprit de ceux qui découvrent le film aujourd’hui.

Après tout, pour reprendre les mots d’Ozon : “Toute adaptation comporte une part de trahison qu’il faut accepter. “… “Le langage littéraire et le langage cinématographique sont deux choses différentes. J’ai suivi mon instinct, ce qui m’avait fasciné dans le roman, et j’ai fait mienne la vision de Camus.”

Les avis des critiques sur ce film divergent considérablement, ce qui explique qu’il ne parvienne pas à un consensus général. Cependant, tous s’accordent sur la qualité formelle du film et le jeu des acteurs. Techniquement, le cinéma d’Ozon est impeccable : décors, costumes, musique et cadrage sont travaillés avec une maîtrise digne d’un grand styliste.

Le film s’ouvre sur des images d’archives de la période de la colonisation française de l’Algérie, et donc d’Alger, vers 1942. Le réalisateur a choisi de contextualiser cette époque car il souhaitait transmettre la manière dont « la France voyait et parlait de l’Algérie, une vision idéalisée de la colonisation… », selon les mots de Hozon. Le film commence ensuite par la description des funérailles de la mère dans une très longue séquence, suivie du quotidien du protagoniste et de son ami à Alger, qui se retrouvent au bord de la mer, et du tragique meurtre de l’Arabe. Tout ce déroulement est très silencieux, fait de gestes et de mouvements, entre la tactilité des sens et l’effort de l’exil. La seconde partie, centrée sur la prison et le déroulement du procès, devient plus parlée, parfois même criée. L’existence se mue alors en un flot de pensées.

Le film se concentre principalement sur le protagoniste, mais d’autres personnages interviennent également et ne sont pas moins importants ; en fait, ils contribuent au développement de l’histoire.

Acteurs

Benjamin Voisin est Meursault. À vingt-huit ans, fort d’une carrière déjà bien établie, Voisin a fait une entrée fracassante sur la scène internationale avec deux films : Été 85, qui lui a valu le Prix Lumières 2021 de la révélation masculine, et Illusions perdues, pour lequel il a remporté le César 2022 de la révélation masculine. Il a travaillé avec acharnement pour son rôle de Meursault, passant d’un premier moment de silence, d’observation et d’isolement pour se détacher du monde, à un second moment plus relationnel, mais aussi plus hiératique. Une performance d’une grande profondeur.

Rebecca Marder incarne Marie Cardona, l’amie de Meursault. Cette jeune actrice franco-américaine possède une carrière remarquable, débutant au cinéma en 2001 et connaissant enfin le succès avec le film « A Young Girl Who’s All Right », récompensé par de nombreux prix et nominations. Elle a rejoint la Comédie-Française en 2015 et y est restée jusqu’en 2021. Elle avait auparavant collaboré avec Ozon sur « Mon Crime ». Si on la connaît surtout pour des rôles plus dynamiques, elle est ici la partenaire sensuelle de Meursault. Comme l’explique le réalisateur : « J’ai constaté que sa sensualité n’avait pas encore été exploitée au cinéma, et elle n’avait jamais eu l’occasion de jouer sur ce film.» « Il a dit qu’il voulait tomber amoureux d’elle. »

Pierre Lottin incarne Raymond Sintès, le voisin de Meursault. Il mène également une brillante carrière au cinéma, avec des courts et longs métrages, des séries télévisées, des téléfilms, des web-séries et même du théâtre. Il s’est révélé au grand public en 2011 avec Les Tuche, mais surtout grâce à Ozon lui-même, notamment avec Grâce à Dieu (2019), Quand l’automne viendra (2024) et Un triomphe d’Emmanuel Courcol, film pour lequel il a été récompensé. Dans L’Étranger, il est rusé, circonspect et énigmatique. Ozon souhaitait qu’il ressemble à Jean Gabin, mais finalement, il est bien plus proche – poursuit Ozon – de Robert Le Vigan, l’extraordinaire acteur des années 1930 et 1940.

Denis Lavant incarne Salamano, un autre voisin, un vieil homme qui maltraite son chien. Lavant, 64 ans, dont la carrière est légendaire, est sans doute surtout connu des jeunes générations pour ses rôles dans les films de Leos Carax et Claude Lelouch. Probablement aucun autre acteur n’aurait pu rendre ce rôle si particulier – triste, enragé et meurtri. Une performance brutale et bouleversante.

Hajar Bouzaouit interprète Djemila, la sœur de l’Arabe assassiné. Sa prestation est presque une première, même si elle est apparue dans Le Mont Moussa en 2022. Bien qu’elle soit à peine présente dans le roman de Camus, Ozon souhaite lui offrir un témoignage, un miroir à son frère, dont le nom n’est jamais mentionné. La juxtaposition entre elle et Marie Cardona est pertinente, car elle préfigure deux statuts différents, voire l’Orient et l’Occident, peut-être la prochaine guerre.

Photographier

Le choix d’une photographie en noir et blanc parfaite du photographe belge Manu Dacosse était presque inévitable. Ce choix a généré une sorte de sensorialité et a accentué les corps, les mouvements et la dimension de Camus.

Musique

Ozon a découvert la musicienne koweïtienne Fatima Al Qadiri, sculptrice, compositrice et productrice de musique électronique. Elle s’est fait remarquer avec la sortie de son deuxième album, Brute, qui, en 2019, comprenait la bande originale du film Atlantic, réalisé par Mati Diop. Ozon recherchait une perspective musicale sur le monde arabe. Fatima a assurément apporté une touche orientale, mêlant instruments électroniques et classiques.

L’étranger

Scénariste : François Ozon, en collaboration avec Philippe Piazzo, d’après le roman L’Étranger d’Albert Camus
Musique : Fatima Al Qadiri
Décors : Katia Wyszkop
Costumes : Pascaline Chavanne
Photographie : Manuel Dacosse
Son : Jean-Paul Hurier, Julien Roig et Emmanuelle Villard
Montage : Clément Selitzki
Production : François Ozon
Sociétés de production : FOZ, en coproduction avec France 2 Cinéma, Gaumont, Lions Production et Service et Scope Pictures
Sociétés de distribution : Gaumont (France) ; Athena Films (Belgique), Filmcoopi (Suisse romande), Immina Films (Québec)

(cr ph. Carol Bethuel – FOZ – Gaumont – France 2 Cinéma – Macassar Productions)