Année de production : 2025 – Date de sortie : 05.11.2025
Pays : France, Allemagne, Pays-Bas, Lettonie, Roumanie, Lituanie – Durée : 118 minutes
Festival de Cannes 2025 – Compétition officielle
Avec Aleksandr Kuznetsov, Aleksandr Filippenko et Anatoliy Belyy
par Roberto Tirapelle
Avec son souci du détail habituel, Sergueï Loznitsa signe une œuvre nouvelle et bouleversante sur les purges staliniennes. Sa technique cinématographique, comme ses acteurs, génère un humour noir et une satisfaction empoisonnée.
SYNOPSIS: Union Soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles arrive à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev. Kornev se démène pour rencontrer le prisonnier, victime d’agents corrompus de la police secrète, la NKVD. Bolchévique chevronné et intègre, le jeune procureur croit à un dysfonctionnement. Sa quête de justice le conduira jusqu’au bureau du procureur-général à Moscou. A l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom.
Sergueï Loznitsa, réalisateur, scénariste et monteur biélorusse-ukrainien, est un habitué du Festival de Cannes. Son premier long métrage, MON BONHEUR, a été sélectionné en compétition en 2010 ; en 2012, il a de nouveau été sélectionné pour Dans la Brume ; il est présent cette année encore, où il présente Deux procureurs, également en compétition. Sa filmographie comprend six longs métrages et vingt-trois documentaires, primés dans de nombreux festivals.
Sa vocation première n’était pourtant pas le cinéma: diplômé en ingénierie et mathématiques, il s’est spécialisé en cybernétique et a développé une expertise dans les systèmes d’intelligence artificielle. Plus tard, il a intégré l’Institut de cinématographie de Moscou et a produit ses films au Studio de documentaires de Saint-Pétersbourg.
Une série de prémisses importantes confirment que ses œuvres, proches de l’expérimentation, dépeignent « l’humanité confrontée à des bouleversements économiques, sociaux et politiques de grande ampleur », comme le soulignait Télérama, illustrant ainsi la décadence morale de la Russie.

En revenant sur sa carrière, on constate que le réalisateur a œuvré entre documentaire et fiction. Toujours attentif au détail, il a cherché à témoigner des conflits passés et présents, des stigmates de l’occupation soviétique à la guerre actuelle avec la Russie. Il a réalisé L’Invasion (2024), présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard.
Aujourd’hui, Loznitsa présente « Deux Procureurs », un récit rigoureux sur la justice communiste sous Staline. Le film est tiré de l’histoire de Georgi Demidov, un physicien expérimental de Kharkiv, arrêté en 1938 et contraint de passer quatorze ans au Goulag. Le livre a été écrit en 1969, à une époque où la publication de tels ouvrages était interdite ; en 1980, les livres de Demidov ont été saisis par le KGB. En 1988, les manuscrits ont été restitués à sa famille, et le livre a finalement été publié en 2009. Un véritable périple!
En 2017, Loznitsa a réalisé Le Procés, un documentaire basé sur des documents d’un procès-spectacle stalinien de 1930. Selon le réalisateur, « des scientifiques, des ingénieurs et des économistes soviétiques se sont publiquement accusés de crimes qu’ils n’avaient jamais commis ». « Ce procès visait à instiller la peur et la suspicion au sein de la population soviétique. »
Dans Les Deux Procureurs, on a le temps de saisir le développement du film en explorant plus en profondeur les corps des personnages : les détails des visages, la cruauté et l’ironie du langage, la claustrophobie d’une prison sans précédent, des figures se mouvant comme des pions de la terreur, une dimension qu’il serait réducteur de qualifier de kafkaïenne. Dans ce contexte, quel genre de personnage est le procureur Kornev ? Comme l’explique Loznitsa : « Il appartient à la première génération post-révolutionnaire, élevée dans un esprit romantique et idéaliste. C’est un bâtisseur enthousiaste de l’avenir, convaincu d’avoir raison. Il ne peut concevoir que le monde dans lequel il vit soit autre chose qu’idéal. »

Acteurs

Alexander Kuznetsov incarne le jeune procureur Kornev. Acteur et réalisateur russo-ukrainien, Kuznetsov est connu pour son rôle récurrent dans la série Better than Us, notamment grâce au film Leto de Kirill Serebrennikov (2018). Dans ce film, il livre une performance magistrale, donnant l’impression d’être inébranlable et fidèle à ses idéaux, tout en ignorant ce que l’avenir lui réserve. Contre-révolutionnaire, il est impuissant face à l’autorité.
Alexander Filippenko est STEPNIAK ET L’HOMME À LA JAMBE DE BOIS. Acteur russe, artiste du peuple de la Fédération de Russie, Filippenko, âgé de 81 ans et diplômé en chimie moléculaire, a débuté sa carrière cinématographique en 1969. Il a tourné dans plus de 80 films, incarnant pour la plupart des personnages malfaisants de son époque. Son expression est l’opposition à l’annexion de la Russie. Son rôle de Stepniak, prisonnier de la cellule 84 du bloc 5, est monstrueux et son jeu aussi hiératique et terrifiant que les blessures de sa chair. De même, « L’Homme à la jambe de bois » est une séquence interminable, entièrement jouée devant la caméra, un monologue perturbateur.
Anatoli Beily incarne Vyshynsky, le procureur général. Acteur soviétique devenu israélien, Beily a été nommé artiste honoraire de la Fédération de Russie en 2006. Il a été acteur principal du Théâtre d’Art de Moscou jusqu’en février 2022 ; il vit et travaille actuellement en Israël, où il a joué dans la pièce « Crime et Châtiment » au Théâtre Gesher. Dans le film, Beily livre une performance sobre sur fond de bureaucratie impitoyable.

Vytautas Kaniušonis incarne le directeur de la prison. Acteur russe chevronné, il interprète le rôle avec une expressivité faciale remarquable. Andris Keišs, acteur lituanien à la présence inquiétante, est tout aussi impressionnant.
Image
Sergei Loznitsa a poursuivi sa collaboration avec le chef opérateur roumain Oleg Mutu. Il a travaillé sur au moins trois films avec le réalisateur. D’après les notes de ce dernier, pour Les Deux Procureurs, une palette de couleurs composée de noir, de gris, de brun, de bleu foncé, de blanc et de rouge sang a été utilisée. La photographie est riche, dense et métallique.
Costumes
Les costumes du film ont été conçus par Dorota Roqueplo, une costumière française ayant souvent travaillé en Pologne. Elle a utilisé la même palette de couleurs que les photographies afin d’assurer une cohérence visuelle. Certains costumes ont été réalisés à la main à partir de pièces vintage des années 1930.
Tournage
Le film a été tourné à Riga, dans une prison datant de 1905, sous l’Empire russe. Les notes du réalisateur précisent que la prison a été fermée pour des raisons d’hygiène. L’odeur de souffrance y est omniprésente.
DEUX PROCUREURS
RÉALISATEUR & SCÉNARISTE Sergei Loznitsa
D’APRÈS LE RÉCIT DE Georgy Demidov
IMAGE Oleg Mutu
DIRECTION ARTISTIQUE Kirill Shuvalov
DÉCORATION Jurij Grigorovič – Aldis Meinerts
CONCEPTION SONORE Vladimir Golovnitski
MUSIQUE ORIGINALE Christiaan Verbeek
CASTING Maria Choustova
COSTUMES Dorota Roqueplo
MAQUILLAGE Marly Van De Wardt
MONTAGE Danielius Kokanauskis 1ER ASSISTANT RÉALISATEUR Marek Cydorowicz
DIRECTEUR DE PRODUCTION Mārtiņš Eihe
Sociétés de production : SBS Productions, LOOKSfilm, Atoms & Void, White Picture, Avanpost, Studio Uljana Kim, The Match Factory
Société de distribution : Pyramide
(cr ph PyramideFilms)
