Jeanne Herry signe un magnifique film d’ensemble. Les visages des acteurs collent à l’écran et au public.

par Roberto Tirapelle

Synopsis
Depuis 2014, en France, la Justice Restaurative propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer entre eux dans des dispositifs sécurisés. Nassim (Dali Bensalah), auteur de homejacking, comme Chloé (Adèle Exarchopoulos), victime de viols incestueux, s’engagent l’un et l’autre dans une mesure de Justice Restaurative. Autour d’eux : d’autres victimes, d’autres auteurs et des encadrants composés de professionnels et de bénévoles. Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée… Et au bout du film, des réparations intimes individuelles, enfantées par la rencontre de ces individualités.

Jeanne Herry, fille de Miou-Miou (également dans le film) et de Julien Clerc, en est à son troisième long métrage et s’est attaquée à un thème délicat et incompris même en France d’où est née la “justice restaurative”. Après tout, même “Pupille” il y a cinq ans se concentrait sur des questions épineuses telles que l’adoption et les familles d’accueil. Un film dont on parle encore aujourd’hui dans le cinéma français pour cause de surprise et d’émotion.

Avec Je verrai toujours vos visages, le résultat est d’autant plus sensationnel qu’il réunit victimes et agresseurs pour que le film devienne une œuvre chorale et à ce point les acteurs sont tous importants. En fait ils le sont parce qu’ils vous font rester si près de leurs visages et de leurs histoires, à la limite de l’émotion mais toujours acharnés dans le but de démontrer ce qui est vrai, ce qu’ils ressentent.

(à gauche Jeanne Herry)

Certes il y a un effet de mise en scène et c’est pour cela que Jeanne Herry se déplace avec une telle capacité narrative, toujours sur le personnage, toujours tenace, jamais décousue. Un film qui aurait très bien pu être présenté dans certains festivals.

On peut aller plus loin et souligner la méthode utilisée par la ”justice restaurative”, c’est-à-dire celle de l’approche psychologique et qu’une parole laissée libre agit comme une thérapie. Certains déversent leur rancœur sourde ou explicite envers les autres qui devraient prendre conscience de la violence provoquée. Les victimes et les agresseurs présents ne sont toutefois pas directement impliqués mais ont subi des dommages similaires. Cependant, il y a un lien intéressant vers la justice réparatrice que j’indique (https://www.justicerestaurative.org/).

(à droite Miou Miou)

Essayons maintenant de saisir quelques propos de Jeanne Herry au sujet du film:

CRÉÉE EN 2014, LA JUSTICE RESTAURATIVE EST UN DOMAINE ENCORE PEU CONNU
EN FRANCE. D’OÙ EST NÉE L’IDÉE DE LUI CONSACRER UN FILM?

“Après PUPILLE, je cherchais un nouveau projet et j’ai entamé des recherches sur deux sujets qui m’intéressaient : le fonctionnement du cerveau et le milieu de la justice. J’ai toujours été passionnée par les faits divers, les procès, les grandes figures du banditisme, les ténors du barreau… Un jour, je suis tombée par hasard sur un podcast autour de la justice restaurative. Ça m’a intriguée, puis captivée: ce qui m’intéressait dans ce processus était précisément ce qui motivait mes recherches sur le cerveau: la réparation.”

(a gauche Suliane Brahim et Jean-Pierre Darroussin)

MAIS VOUS AVEZ TRANCHÉ EN FAVEUR DE CE NOUVEL OUTIL JUDICIAIRE…

“Le cerveau était un sujet vaste et c’était plus un centre d’intérêt personnel qu’une matière propice à un film. La justice restaurative devenait tout d’un coup un terrain de jeu très intéressant ; le cadre idéal pour écrire un film fort, avec des enjeux très relevés, des scènes d’action psychologiques, des espaces de dialogues ; tout ce
que j’aime.”

(à droite Gilles lelouche)

LA PRÉPARATION DE CES RENCONTRES SEMBLE TRÈS LONGUE.

“Elle l’est. Elle peut prendre des mois, chaque participant est préparé en amont en tête-à-tête par les animateurs, jusqu’à ce qu’ils soient prêts. Le film raconte d’ailleurs la préparation d’un auteur, Nassim (Dali Benssalah) et d’une victime, Chloé (Adèle Exarchopoulos) mais dans un autre dispositif…”

En fait, deux histoires parallèles parcourent le film : une jeune femme (Adèle Exarchopoulos, toujours très bonne) maltraitée dans son enfance par son propre frère et le cercle des agresseurs et des victimes mis en place dans un club de prison.

Voici les personnages et leurs acteurs superlatifs : Nawell (Leïla Bekhti), caissière de supérette, Sabine (Miou Miou), sexagénaire traînée en scooter lors d’une agression, et Grégoire (Gilles Lellouche) qui n’oublie jamais l’agression qu’elle a subie chez elle avec sa fille. Il y a trois auteurs de vols violents: Issa (Birane Ba), Thomas (Fred Testot), Nassim (Dali Benssalah). Deux autres animateurs et bénévoles (Anne Benoît et Pascal Sangla), une autre animatrice, Judith (Elodie Bouchez) s’occupe du cas de Chloé (Adèle Exarchopoulos). Deux adjoints de justice Fanny (Suliane Brahim) et Michel (Jean-Pierre Darroussin).

(à gauche Adèle Exarchopoulos et Elodie Bouchez)

je verrai toujours vos visages
musique originale pascal sangla – produit par hugo selignac et alain attal
1 h 58 min · en salle 29 mars 2023
Pays d’origine: France

(à gauche Leïla Bekhti, à droite Dali Benssalah)