Festival de Cannes 2023 – (Hors Compétition)
C’est un biopic sublime, enrichi par les performances de Benjamin Lavernhe et d’Emmanuelle Bercot.
par Roberto Tirapelle
Si vous connaissez Frédéric Tellier, scénariste et réalisateur, vous savez qu’il a derrière lui de solides films, ainsi que des courts métrages, télévision, Séries télévisées. On se souvient de deux films très appréciés : « L’Affaire SK1 » (2014) qui retrace un double récit très fort, et « Sauver ou périr » (2018) un film dramatique sur les sapiers-pompiers. « Goliath », c’est aussi une question de pesticides.
Le voilà désormais au cinéma avec un film biographique “L’Abbé PIERRE”, situation toujours très insidieuse à porter à l’écran car le personnage est complexe et la temporalité très large, mais le résultat est très marquant tant par l’équilibre il a réalisé en présent une figure très aimée qui pour l’interprétation de son protagoniste Benjamin Lavernhe, d’une grande profondeur, bien qu’il soit acteur de la Comédie-Française.
Le réalisateur raconte comment il a abordé une telle histoire étape par étape. Les producteurs l’ont d’abord présenté à Laurent Desmart (Secrétaire particulier de l’abbé pendant 15 ans et président de la Fondation Abbé Pierre): “a été décisif. J’ai passé énormément de temps avec lui. Il m’a raconté des moments, des souvenirs qui ne sont pas dans la “littérature officielle” et qu’il n’avait, je crois, encore confiés à personne. Il m’a ouvert une malle incroyable de souvenirs, d’émotions, de complicités… Il m’a donné à voir et à comprendre l’abbé Pierre intime, son mode de fonctionnement, ses origines.“
Puis, après cette rencontre, il a commencé à écrire 50/70 pages tout seul. Mais il n’aime pas écrire seul et a pensé à rencontrer Olivier Gorce, l’un des grands scénaristes français. Frédéric Tellier déclare: “Or, cela faisait des années que j’avais envie de travailler avec Olivier Gorce. Je me suis dit que ce sujet pouvait être le bon pour le faire avec celui qui a notamment co-écrit “La Loi du marché” et “En guerre”. Alors je vais le voir et je lui dis qu’il y avait sans doute un signe car j’avais découvert qu’un Olivier Gorce avait signé une biographie de l’abbé. Et là, il me révèle que c’est lui ! Dans ses jeunes années. Il a accepté et on a commencé à rentrer dans l’écriture ensemble pour tenter de créer un film qui aille donc au-delà du symbole forcément un peu écrasant.”
Après tout, c’était un défi de raconter une histoire de 70 ans en deux heures et treize minutes. Selon les indications du réalisateur, l’idée était celle d’un projet « sensoriel » et l’objectif semble avoir été atteint compte tenu du style photographique, de la bande sonore, de l’enveloppe de l’interprétation. En effet, lorsque pendant la préparation le réalisateur visitait ses lieux, sa communauté, sa chambre, “j’ai eu l’impression par moments, – exprime le directeur – de manière fugace, étrangement, de le sentir, de ressentir cet homme.”
(a g. Emmanuelle Bercot, a d. Benjamin Lavernhe. cr ph Unifrance, Jérome Prébois)
Concernant la photographie du film, on retrouve le grand travail réalisé par Renaud Chassaing : le raffinement des peintures, les solutions techniques, les grands angles, les travellings, les flous.
Treize semaines de tournage, la pire situation sur le plateau semble avoir été le froid.
Musique : le choix s’est porté sur Bryce Dessner, guitariste du groupe de rock “The National “. Le réalisateur a déclaré que travailler avec Dessner était un grand moment artistique.
Il faut cependant raconter un peu d’histoire sur l’abbé Pierre : il s’appelait Henri Grouès (1912-2007), après sept ans au couvent des Capucins de Crest il fut poliment expulsé car physiquement incapable de supporter la vie quotidienne du monastère. . Vicaire du diocèse de Grenoble en 1939, il est mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, puis résistant. A la Libération il est élu député (MRP) de Meurthe-et-Moselle. Il est connu pour être le co-fondateur du mouvement Emmaüs, organisation laïque de lutte contre l’exclusion, dont la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des personnes défavorisées et de nombreuses autres associations, fondations et entreprises de l’économie sociale et solidaire en France. . Lorsqu’il devient abbé Pierre il rencontre Lucie Coutaz qui sera son bras droit pendant les 50 prochaines années.
Personnages et acteurs.
Lucie Coutaz est une personnalité opposée à celle de l’abbé et c’est pourquoi elle était devenue si importante aux côtés de l’abbé Pierre : elle était patiente, diplomate, équilibrée et ces aspects apportaient un soutien à l’abbé, toujours prêt à affronter hommes politiques et financiers. Emmanuelle Bercot, réalisatrice, scénariste, actrice de nombreux films, vient aussi de “Goliath” et “Des grandes espérances” et seulement cette année elle en a joué deux autres. Dans « l’Abbé Pierre », méconnaissable dans son maquillage, elle est Lucie Coutaz. Toujours à sa place elle ne brise pas les ambitions de l’abbé mais son interprétation la rend unique.
Benyamin Lavernhe est l’abbé Pierre : c’est vrai qu’il est issu d’une carrière fulgurante à la Comédie française mais il a aussi fait beaucoup de cinéma, plus de 20 films. En 2022, il a proposé sa participation à « Des Grandes espérances », une œuvre merveilleusement politique, et cette année encore, il a présenté « Jeanne du Barry » et, bien sûr, « l’Abbé Pierre » à Cannes. Il a désormais fini de jouer “Modi”, le dernier film de Johnny Depp sur Modigliani, dont la sortie est prévue en 2024. Dans “L’Abbè Pierre”, il est décidément fantastique dans ce dernier film pour supporter toute la carrière de l’abbé. Il a beaucoup travaillé son corps et sa voix. Ses prises de parole en public ou à la radio sont exceptionnelles, toujours équilibrées entre élan et sobriété. Les maquilleurs ont également fait un travail incroyable en maquillant son visage pour l’amener progressivement à la mort.
Benjamin Laverrnhe raconte que sa participation au tournage du film a été divisée en deux parties car il s’est également occupé de la Comédie-Française dans « Le mariage forcé » de Molière. Lavernhe déclare: “Mais je pense que ça a été libérateur de faire autre chose, de faire le clown de manière plus légère… Même si ça ne m’a pas reposé ! Or, il se trouve que dans la deuxième partie du tournage en été, on a commencé avec les scènes de l’abbé vieux. Avec donc plus de temps nécessaire au maquillage. Réveil à 2 heures du matin, maquillage de 3h à 9h puis tournage de 9h à 19h.”
L’abbé PIERRE – Une vie de combats
Avec: Benjamin LAVERNHE de la Comédie-Française – Emmanuelle BERCOT – Michel VUILLERMOZ
Durée : 2H18 – Au cinéma le 8 novembre 2023
Réalisation : Frédéric Tellier – Scénario : Olivier Gorce et Frédéric Tellier – Musique : Bryce Dessner – Décors : Nicolas de Boiscuillé – Costumes : Charlotte Betaillole – Photographie : Renaud Chassaing – Son : Antoine Deflandre et Hervé Guyader – Montage : Valérie Deseine – Production : Wassim Béji – Production déléguée : David Giordano – Sociétés de production : SND Films et WY Productions ; France 3 Cinéma (coproduction) – Sociétés de distribution : SND (France) ; A-Z Films (Québec), JMH Distributions SA (Suisse romande)