Festival de Cannes 2023, Compétition, Prix d’interprétation féminine (Merve Dizdar)

par Roberto Tirapelle

Une grande fresque sur les sentiments dans le paysage d’Anatolie

SYNOPSIS

Samet est un jeune enseignant dans un village reculé d’Anatolie. Alors qu’il attendait depuis plusieurs années sa mutation à Istanbul, une série d’événements lui fait perdre tout espoir. Jusqu’au jour où il rencontre Nuray, jeune professeure comme lui…

(cr ph Nuri Bilge Ceylan)

Le réalisateur turc a toujours été un habitué du Festival de Cannes, dès 1995 pour présenter Koza, son premier court métrage, également le premier court métrage turc sélectionné à Cannes. Par la suite, il présente UZAK en 2003 en ramenant le Grand Prix et le Prix d’interprétation masculine pour les deux comédiens principaux à Cannes. A partir de ce moment, Nuri Bilge Ceylan est lancé à l’international, à tel point que le film remportera 47 autres récompenses. Les films suivants sont tous présentés à Cannes : En 2006, Les climats y remportent le prix FIPRESCI de la critique internationale, en 2008 Les trois singles le prix du meilleur réalisateur et en 2011 Il était une fois en Anatolie à nouveau le Grand Prix. Puis il remportera également la Palme d’or en 2014 avec Winter Sleep, son septième long métrage. En 2018 il revient en compétition à Cannes avec Le poirier sauvage.

Cette année, il a présenté LES HERBES SÈCHES et, étonnamment, le film a remporté le Prix pour l’interprétation de son protagoniste, Merve Dizdar. Je dis étonnamment car les prédictions des critiques étaient différentes. En réalité, l’actrice turque (la première turque à avoir remporté le prix à Cannes) est peu connue de nous, alors qu’elle a à son actif depuis 2010 à la fois du théâtre (9 pièces) et du cinéma (13 films), ainsi que 12 séries télévisées. En fait, on voit immédiatement que Merve Dizdar a sa propre volonté d’entrer dans la caméra et d’exprimer ses sentiments. Dans certaines expressions elle devient merveilleuse car la technique de Ceylan est à la fois tenace et douce, elle fait ressortir de son visage la tristesse et l’irréductible espoir de ses idéaux.

(Merve Dizdar)

La filmographie de Nuri Bilge Ceylan est souvent caractérisée par de grands espaces naturels (Winter Sleep, Il était une fois en Anatolie), dans lesquels la personne est contextualisée dans son quotidien plein de contradictions, d’utopies, de trahisons. Ainsi le réalisateur travaille sur les personnages, sur les sentiments. Il enrichit son cinéma d’essentialité, l’imperceptible enveloppe le spectateur et le fait s’abandonner au suspense.

Samet (l’époustouflant Deniz Celiloğlu, avec son allure fait trembler la caméra plutôt que l’inverse) et Kenan (excellent Musab Ekici bien qu’avec des caractéristiques différentes de son collègue) sont deux professeurs et colocataires qui partagent le même appartement et le même internat dans un triste endroit d’Anatolie. Ils ont été dénoncés par des actions inappropriées envers les étudiants masculins/féminins. Samet qui rêve d’être muté à Istanbul, tous ses espoirs s’effondrent sur lui. Soudain, un autre professeur très attrayant Nuray (précisément Merve Dizdar) entre dans leur vie qui travaille également dans une école en tant que professeur d’anglais. Elle est retournée dans son pays après avoir été victime d’un attentat qui s’est soldé par l’amputation de sa jambe. Elle était militante et l’est toujours dans sa pratique intellectuelle. Tous deux tombent amoureux d’elle.

(à gauche Deniz Celiloğlu; à droite Musab Ekici)

Et c’est dans ce cadre que le metteur en scène forme et achève son travail : d’abord il part de loin en jetant de petits signes du scénario et des regards, puis il se jette à corps perdu dans les plans séquences des personnages et fait ressortir son goût pour l’expression humaine. débat et politique : l’individu ou la communauté, l’activisme, la jeunesse, l’éducation, l’amour. L’une des scènes les plus intenses est celle du dîner chez Nuray où Samet est invité. Là, toute leur communicabilité possible va progressivement exploser : de la provocation à la séduction, pas de mensonge ni de tromperie, un léger baiser, essuyant vos larmes.

Samet est passionné par l’instantané photographique. Et dans chaque photographie, dans chaque visage, dans les yeux des gens, il y a une histoire à raconter en toutes saisons. Aussi bien sous la neige sur laquelle il est difficile de marcher qu’en été, parmi les herbes sèches, où rester est difficile mais partir est difficile.

Nuri Bilge Ceylan dit dans une note d’intention:

“Bien qu’une réconciliation soit souhaitée et demeure possible, les préjugés, les barrières dressées au
fil du temps, les traumatismes subis et la tentation de faire payer ses fautes au premier venu isolent
davantage ces âmes flétries par la vie. Chaque visage exprime une lassitude, chaque expression
témoigne d’un regret. La fatigue se fait ressentir à chaque mouvement et chaque voix qui retentit se
fait l’écho d’une douleur, comme autant de répercussions du « destin » qui frappe cette région.”

LES HERBES SÈCHES (Kuru Otlar Üstüne) Un film de Nuri Bilge Ceylan

avec Deniz Celiloğlu, Merve Dizdar, Musab Ekici

Durée : 3h17 – Turquie, France, Allemagne – 4K –
Sortie le 12 juillet 2023 (Cinéma Les Arcades, Cannes)

Scénario AKIN AKSU, EBRU CEYLAN, NURİ BİLGE CEYLAN
Direction de la photographie CEVAHİR ŞAHİN, KÜRŞAT ÜRESİN
Montage OĞUZ ATABAŞ, NURİ BİLGE CEYLAN
Production NBC FILM, MEMENTO PRODUCTION, KOMPLIZEN FILM

Credit Photo  © Nuri Bilge Ceylan

(Credit Photo, Nuri Bilge Ceylan)