(24 – 30 Janvier 2024)

Dramma per musica en trois actes – Musique de Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Livret de Nicola Francesco Haym d’après le texte de Giacomo Francesco Bussani 
Création : King’s Theatre at Haymarket, Londres, 20 février 1724 

par Roberto Tirapelle

GIULIO CESARE: Haendel parmi les vagues baroques d’Egypte. Quelques extravagances pop définissent le triomphe de l’opéra.

Si la première de Jules César en février 1724 sur la scène londonienne du King’s Theatre de Haymarket fut un triomphe, les représentations de l’opéra mises en scène par le Théâtre de Monte-Carlo à cette période (du 24 au 30 janvier 2024), en plus de tous vendus, ils reçurent le même accueil triomphal. Il fallait aussi s’y attendre compte tenu de l’équipe technique et artistique qui l’a réalisé, avant tout deux pour tous, la mise en scène de David Livermore et la direction musicale de Gianluca Capuano. Il y a certainement deux composantes qui ont attiré cet opéra au fil des siècles : l’histoire du consul romain (Jules César) et de la reine égyptienne (Cléopâtre) dont les aventures ont ciselé l’imaginaire collectif, et le ravissement des airs qui étaient dédiés au Senesino, le célèbre castrat italien contralto Francesco Bernardi de Sienne, qui joue le rôle titre, et Francesca Cuzzoni, soprano italienne de Parme, qui incarne Cléopâtre.

Créé pour la Royal Academy of Music, c’est le cinquième opéra que Haendel écrit pour l’institution. Après le succès de Londres, Haendel les reprit en 1725, 1730 et 1732, pour un total de trente-huit représentations au cours des saisons suivantes. Il est également né à Hambourg en 1725, à Brunswick et à Paris en 1737. Avant le XXe siècle, la première représentation à Hambourg remonte à 1737.

Oublié par la vague romantique du XIXe siècle, ce titre  ne retrouvera le chemin de la scène qu’en 1922 à Göttingen avant d’être mis en lumière après-guerre par les grandes voix du belcanto romantique. l faudra néanmoins attendre les années soixante-dix pour entendre une exécution respectant l’intégralité de la partition, son orchestration et ses tessitures originales. La nouvelle production monégasque, signée Davide Livermore, s’inscrit dans cette perspective de représentation musicalement informée.

Livermore, une carrière extraordinaire tant en Italie, son pays natal, que sur les grandes scènes théâtrales européennes où il fut metteur en scène, scénographe, costumier et éclairagiste, chanteur, danseur, acteur, scénariste et professeur, réalisée à l’Opéra de Monte-Carlo en la saison 2023 « Caruso in Monaco », le « Don Carlo » et maintenant le « Giulio Cesare », l’une de ses productions les plus réussies. L’histoire de la campagne militaire de Jules César en Égypte est l’occasion idéale de retracer les aventures amoureuses, les rivalités, les vengeances, bref, tout ce bazar humain pour arriver à cette puissance qui dessine les personnages et la musique baroque haendélienne.

Selon Livermore, Haendel ne voulait pas décrire les personnages et les événements de l’Antiquité de manière brillante et scintillante. Le compositeur et le baroque aiment les fragilités humaines : les gens normaux pour l’amour, la souffrance, le pouvoir. Livermore raconte ici l’histoire des années 1920, sur un bateau naviguant sur le Nil, avec ses eaux ondulées, et en arrière-plan les sites archéologiques de la grande Égypte. Les scènes et les airs se déplacent vers les ponts du navire et les intérieurs comme la luxueuse cabine où séjourne Cléopâtre pendant qu’elle fume ou la salle de bal où elle apparaît toujours au centre chantant des notes veloutées pour séduire César qui se relaye ensuite au Je chante. à l’aide d’un microphone, se balançant comme un chanteur pop et soutenu par le rythme d’un violon. Ainsi la mise en scène, étonnante, mêle passion et ironie, fascination et enchantement, héroïsme et puissance, avec une précision dramaturgique millimétrique, qui éclaire le théâtre, la scène et le spectateur comme ces télescopes qui lancent des faisceaux de lumière tenus par les deux demoiselles de Cléopâtre et par Cléopâtre. se. Une myriade d’inventions, une constellation d’épanouissements baroques contemporains qui embrassent le XVIIIe siècle haendélien.

La mise en scène de Jules César s’inscrit dans cette synergie qui caractérise l’Opéra de Monte-Carlo depuis des années avec la grande artiste Cecilia Bartoli qui est également actuellement directrice du théâtre monégasque depuis deux ans. L’opéra baroque était entré dans la saison à Monte-Carlo avec le répertoire haendélien et avec Mme Bartoli déjà pour “Ariodante” (saison 2019, en collaboration avec Salzbourg) et “Alcina” (saison 2023, en coproduction avec l’Opéra de Zurich). ) et surtout il a été créé avec l’ensemble instrumental Les Musiciens du Prince Monaco fondé par la diva elle-même sous la direction musicale de Gianluca Capuano. Le grand maître italien est aujourd’hui une référence mondiale du répertoire baroque et a dirigé des dizaines d’œuvres de bel canto d’abord avec “Il canto di Orfeo” puis avec “Les Musiciens du Prince”. L’interprétation de “Giulio Cesare” était une œuvre à la texture intense et élancée qui parvient à fusionner la saveur ancienne des instruments originaux avec la dynamique des temps actuels.

La performance de Cecilia Bartoli, directrice du festival Pentecôte de Salzbourg (Salzburger Pfingstfestspiele) en 2012 et directrice de l’Opéra de Monte-Carlo depuis 2023, peut être reconfirmée comme une interprète de référence de l’opéra baroque. Elle dessine le personnage de Cléopâtre avec une intensité rare mais sans aucun effet spectaculaire, sa voix se bonifie avec l’âge. Il construit les passages du rôle avec l’illumination de la parole, du texte, du jeu des acteurs, les séductions intrigantes jusqu’au tomber amoureux impliquent les autres chanteurs/personnages et le public. Le chant s’appuie sur la partition de Haendel et sur les instruments des musiciens de Capuano sans virtuosité mais avec son bel canto naturel.

A ses côtés, une compagnie de chant qui tient admirablement sa hauteur. Le premier artiste est Carlo Vistoli qui joue le rôle titre. Il acquiert rapidement l’aura des contre-ténors sur les scènes les plus importantes du monde. Elle possède deux qualités importantes avec lesquelles elle rencontre immédiatement l’enthousiasme du public : le physique du rôle de scène et la beauté chaleureuse de sa voix. C’est un Jules César qui passe de moments ironiques et sans enchantement à des passages plus doux enclins à tomber amoureux.

Le deuxième contre-ténor est Max Emanuel Cenčić dans le rôle de Ptolémée, roi d’Égypte et frère de Cléopâtre. Consacrée dès l’origine à la renaissance et à l’interprétation de la musique du XVIIIe siècle, la formation des Petits Chanteurs de Vienne débute, avant d’entamer une carrière de soliste comme soprano à partir de 1992, ainsi que d’entamer une carrière de soprano. 2001. Dans Tolomeo, il libère une voix qui se projette au théâtre avec une dimension resplendissante. Il a une présence scénique qui, selon nous, restera dans l’histoire, il a un libertinage qui génère un soyeux vocal.

Le troisième contre-ténor est le jeune américain Kangmin Justin Kim d’origine coréenne dans le rôle de Sesto Pompeo, fils de Cornelia et Pompeo. Sa voix génère des tons impétueux de vengeance, il est irascible et doux à tel point qu’il le maintient en équilibre avec parcimonie.

Cornelia, la veuve de Pompeo, est interprétée par Sara Mingardo, l’un des rôles qui est devenu son point fort. Contralto très célèbre, elle marque de sa présence le personnage triste du décès de son mari avec une texture vocale tantôt inconsolable, tantôt sombre, tantôt ferme dans l’émotion.

Le casting est complété par Peter Kalman (Achilla), Federica Spatola (Nireno), Luca Vianello (Curio). Le chœur de l’Opéra de Stefano Visconti est toujours préparé et ponctuel.

La costumière Mariana Fracasso, qui travaille dans le monde de la mode depuis quarante ans, a conçu de beaux vêtements, ils dégagent un charme très cinématographique, très colonial, très élégant des années 1920. Dans l’éclairage, Antonio Castro a montré un travail chromatique intéressant et chaleureux. Le système vidéo de D-WOK, qui collabore depuis dix ans avec Livermore avec son directeur créatif Paolo Gep Cucco, est parfait. Le décor est bien structuré et parfaitement timing par GioForma, le studio milanais composé de Florian Boje, Cristiana Picco, Claudio Santucci.

(cr ph Opéra de Montecarlo, Marco Borrelli)