(en salle le 22 mars 2023)
par Roberto Tirapelle
Sylvain Desclous, dans son troisième long métrage, entre polar, drame social et film politique. Rebecca Marder et Benjamin Laverhe de la Comédie Française à deux nouvelles stars de cinéma.
Synopsis
Madeleine, brillante et idéaliste jeune femme issue d’un milieu modeste, prépare l’oral de l’ENA dans la maison de vacances d’Antoine, en Corse. Un matin, sur une petite route déserte, le couple se trouve impliqué dans une altercation qui tourne au drame. Lorsqu’ils intègrent les hautes sphères du pouvoir, le secret qui les lie menace d’être révélé.
Et tous les coups deviennent permis.
(de la gauche Rebecca Marder et Benjamin Laverhe)
Rebecca Marder et Benjamin Laverhe : il semble que les réalisateurs ne puissent plus s’en passer. Pour Marder après son rôle important « Une jeune fille qui va bien » de Sandrine Kiberlain pour lequel elle avait une nomination aux César, elle enchaîne avec « La grande magie » de Noémie Lvovsky et Les Gouts et les couleurs » de Michel Leclerc, jusqu’à à “Simone, le voyage du siècle” et “Mon Crime” de François Ozon.
Pareil pour Benjamin Laverhe, d’ailleurs plus car il est à l’écran depuis 2011. Il s’est fait remarquer en 2016 avec Le sens de la fête » d’Eric Toledano et Olivier Nakache (Nommé aux César 2018 dans la catégorie Meilleur Espoir Masculin), puis avec « Mon Inconnue » d’Hugo Gélin (Nommé aux César 2020), mais les performances les plus intéressantes sont peut-être « Antoinette dans les Cévennes » de Caroline Vignal (Nommé au César 2021) ou « Le discours » de Laurent Tirard. Et on l’attend dans le prochain biopic “Les onze vies de l’Abbé Pierre” de Frédéric Tellier. Une carrière toujours grandissante.
(Rebecca Marder et Marc Barbe)
Diplômée de Sciences-Po, la jeune Madeleine prépare l’ENA avec son compagnon Antoine, également candidat à ce prestigieux concours. C’est en Corse que ces deux étudiants s’engagent et se passionnent pour la défense d’une société égalitaire. Idéaliste mais déterminé.
Cependant, un drame va les impliquer tous les deux, à tel point qu’ils décident de se taire et de se perdre dans un environnement où tous les coups sont permis.
Le film ne démarre pas rapidement mais dès le début Desclous esquisse les personnages et les personnages. Madeleine (Rebecca Marder) est une héroïne politique, complexe et ambiguë. Il a l’ambition de changer le monde.
A la fin, l’actrice déclarera : “Je suis une militante au coeur pur et aux mains sales”. Gabrielle Dervaz (Emanuelle Bercot) comprend tout de suite cette situation, ancienne secrétaire d’Etat et en course pour devenir députée qui la prend dans son bureau. Gabrielle aimerait défendre les travailleurs de l’éco système mais si Madeleine ne la soutenait pas avec une apparente innocence mais orientée vers un objectif, elle se débattrait.
Antoine (Benjamin Laverhe), lui aussi de la Comédie française, joue lui aussi un rôle ambigu car il vise ses objectifs politiques proches du ministre du Travail. Laverhe joue également l’idéaliste passionné mais travaille plus tard dans une subtile escarmouche avec Marder.
Les deux seconds rôles sont également très bons, à savoir Emanuelle Bercot, du Festival de Cannes aux nominations aux César et à la Berlinale, et Marc Barbe, à la filmographie très fournie. Deux performances caractérisées par l’élégance et l’équilibre.
Nous avons dit au début que le film n’avance pas vite mais a une narration continue. Tout est exprimé à la fin: les accusations, les mensonges, les objectifs sont ciblés. Morale, politique, conscience, détermination se croisent dans un ultime coup de théâtre. Dans le procès italien, on pourrait l’appeler “l’incident probant”.
Gros plans, regards, mots à peine prononcés, silences, émotions, le voile tombe magnifiquement.
Deux déclarations intéressantes de Sylvain Desclous pour éclairer deux aspects du film:
Y a-t-il un lien entre votre film et le roman de Charles Dickens du même titre?
“C’est ma monteuse, Isabelle Poudevigne, qui me l’a suggéré et j’ai trouvé que ce titre résumait en effet beaucoup de choses du film. Les grandes espérances ce sont celles que Madeleine place en ses idées politiques et le parcours qu’elle se construit. Celles que beaucoup de gens placent en Madeleine. Ce sont enfin celles que nous plaçons tous en une politique qui puisse nous faire accéder à un monde plus juste, plus équitable et plus fraternel.”
Votre ressort dramatique repose – vous le dites – sur un mensonge. De Grandes espérances est-il un film amoral, qui raconte que, parfois, la fin justifie les moyens, y compris pour les cœurs purs, dans ce monde impitoyable?
“Pendant toute l’écriture, une question me trottait dans la tête, comme un mantra : peut-on changer le monde si on a les mains sales ? Est-ce que le combat de Greta Thunberg se trouverait discrédité ou disqualifié si on découvrait quelque chose d’horrible sur elle? Pour moi, non. Je considère qu’en matière politique, la justesse d’une cause justifie les moyens mis en œuvre pour que celle-ci triomphe. Sans conquête du pouvoir, il n’y a pas de pouvoir, et encore moins celui de changer les choses.”
SYLVAIN DESCLOUS – BIOGRAPHIE
Sylvain Desclous suit des études de sciences politiques, de droit et de lettres. Après avoir exercé de nombreux métiers et enseigné le français au Laos, il travaille dans l’édition puis l’organisation de séminaires pour des grandes entreprises. Il réalise en parallèle plusieurs courts et moyens métrages (dont Mon héros, nommé aux César 2016) et son premier long-métrage de fiction, Vendeur, sort en 2016. Suivront La
Peau dure et Valentina, à l’Est, deux documentaires, et La Campagne de France, un long-métrage documentaire en 2022 puis De Grandes espérances en 2023. Il travaille actuellement à l’adaptation du roman d’Eric Reinhardt, Le Système Victoria.
(Cr. ph. The Jokers Films)
(Cinéma Les Arcades, Cannes)