avec Isabelle Huppert (Alma), Hafsia Herzi (Mina)

Quinzaine des cinéastes  2024 | Long métrage | 108 min | France

par Roberto Tirapelle

La Prisonnière de Bordeaux est un film sur deux “prisonniers” des conditions sociales, dont le rêve de libération est trop lié à leurs origines pour devenir réalité. La solidarité féminine n’est pas toujours une réussite à en croire le beau film de Patricia Mazuy.

SYNOPSIS: Deux femmes se croisent au parloir d’une prison où elles viennent visiter « leur homme ». L’une est une bourgeoise argentée, l’autre doit trimer pour nourrir ses deux enfants. La première propose à la seconde de loger dans sa grande maison, plus proche de la prison. Est-ce une amitié, un amour, un pacte ? Sur le fil, le film suit le tandem inattendu, son rêve d’émancipation féminine, le retour de manivelle sur le gouffre qui les sépare. Sans manichéisme et sans tiédeur.

(à gauche Hafsia Herzi, à droite Isabelle Huppert)

(Patricia Mazuy)

Patricia Mazuy, réalisatrice et scénariste française, compte huit films à son actif plus quelques courts métrages. Il commence à s’intéresser aux ciné-clubs et se passionne pour les genres western et thriller. Elle s’installe ensuite à Los Angeles où elle tourne un long métrage avec son salaire et rencontre Agnès Varda et sa monteuse Sabine Mamou qui lui proposent d’assister au tournage de “Une chambre dans la ville” en tant que stagiaire. Elle sera ensuite la monteuse de « Sans Toit Ni Loi » (1985), l’un des films importants de Varda. Son premier long métrage est « Peaux de Vaches » (1989) qui semble avoir une mise en scène remarquable, selon la critique, avec Sandrine Bonnaire dans l’un de ses rôles les plus réussis. Le film sera présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. Le film a également remporté deux prix mais a eu peu de suivi après sa sortie, à tel point qu’il sera restauré et ressorti en 2021.

Cette année Patricia Mazuy signe « La Prisonnière de Bordeaux », un film très intéressant qui bénéficie également des magnifiques performances des deux actrices, Isabelle Huppert et Hafsia Herz. Le film raconte le fossé qui sépare les différentes classes sociales que le réalisateur approfondit en éliminant les distances entre les deux protagonistes. C’est pourquoi Alma invite Mina chez elle, car il y a de la place pour eux deux et pour ses deux enfants. La maison d’Alma regorge également de peintures d’art car, à son avis, c’est une bonne affaire pour investir. Ainsi se crée un cadre familial inédit et apparemment doux dans lequel émergent des dialogues de réflexions sur la vie quotidienne des deux côtés.

Un film joué sur le suspense du mélodrame, sur la psychologie, sur la fidélité ambiguë, et quelques touches de dame sophistiquée et envoûtante de la part d’Huppert, et des échos de Chabrol. La réalité est que les classes ne sont pas composées et que la libération est trop difficile.

On peut immédiatement objecter que le titre ne correspond pas à la vérité car il est utilisé au singulier alors qu’il y a deux prisonnières, en effet elles sont libres et ce sont plutôt leurs maris qui sont prisonniers en prison. L’explication a été faite dans le communiqué du réalisateur qui précise : « au singulier le titre a quellque a choisi de romanesque et de mélodramatique, une ouverture vers le conte, vers la fable. Mina et Alma sont bien laissées en liberté, mais ce sont toutes les mêmes qui sont en prison.

L’idée originale du film remonte à Pierre Courrège et François Bégaudeau en 2016 qui avaient déjà écrit un scénario et il fallait que le film soit le leur. En effet, dans le film, le scénario a été écrit par eux avec Patricia Mazuy et en collaboration avec Émilie Deleuze.

Les actrices

Isabelle Huppert (comme Alma), une actrice et productrice française de renommée internationale, avec une carrière sans fin tant au cinéma qu’au théâtre. Elle fut l’interprète préférée de réalisateurs comme Chabrol, Jacquot, Haneke, et alterna cinéma d’auteur et films grand public. Il commence immédiatement à travailler au cinéma au début des années 1970 avec des réalisateurs de la trempe de Sautet, Blier, Robbe-Grillet ou encore Otto Preminger avec “Rosebud” puis continue avec tous les autres. Gagnez toutes sortes de prix. Son interprétation de « La Prisonnière de Bordeaux » est magistrale dans l’équilibre entre la bourgeoisie amusée, le goût de la comédie, la tentative de cohabitation, l’identité sociale. Un rôle aux multiples facettes qui nécessite des connaissances en théâtre et en cinéma.


Hafsia Herzi (comme Mina), une actrice et réalisatrice française d’origine tunisienne, avec une carrière déjà longue et en route vers de nouveaux succès. Il se révèle au cinéma avec le film « La Graine et le Mulet » d’Abdellatif Kechiche en 2007, la même année où il débute au cinéma. Avec ce film, il remportera déjà des prix très importants à Venise, un César, une Étoile d’or et un Lumière de la presse. Sa présence dans “La Prisonnière de Bordeaux” est d’une extrême sobriété mais révèle forcément la différence d’origine sociale par rapport à Alma. Peu de mots mais des regards et des attitudes intenses qui reflètent la commodité du moment. Tous deux sont “prisonniers” mais surtout elle est dominée. par son état et il lui suffit d’utiliser les méthodes à sa disposition, avec très peu d’amortisseurs.

Photographie (Simon Beaufils) et décoration (Dorian Maloine). Musique (Amine Bouhafa)

La couleur dans le film est importante, surtout dans le décor du manoir et aussi en prison. Dans la maison d’Alma, il fallait une couleur qui évoque l’opulence, en prison peut-être la charité. Comme le précise le réalisateur : « Avec Simon Beaufils le chef opérateur, et Dorian Maloine le chef déco, nous avons passé beaucoup de temps sur le travail des couleurs, pour un velouté sensuel et gourmand. » « Le plaisir de la couleur, dans La Prisonnière de Bordeaux, c’est vraiment important, musical. Beaucoup de bleu, mais aussi du jaune et du rouge dans les parloirs ».

La musique/son est également intéressante, en effet Amine Bouhafa a composé une chanson qui circule tout au long du film et parfois aussi chantée par Huppert. Des ingénieurs du son ont également été sollicités pour apporter leur aide sur certaines séquences.

“La Prisonnière de Bordeaux”  de Patricia Mazuy

Scénario : François Bégaudeau, Pierre Courrège et Patricia Mazuy (avec la collaboration d’Émilie Deleuze)
Photographie : Simon Beaufils
Costumes : Caroline Spieth
Décors : Dorian Maloine
Son : François Boudet, Jean Mallet et Nathalie Vidal
Montage : Mathilde Muyard
Musique : Amine Bouhafa
Production : Rectangle Productions – Picseyes
Pays de production : Drapeau de la France France
Distribution : Les Films du Losange

(cr ph Les Films du Losange – Quinzaine des Cineastes)