FESTIVAL DE CANNES – PALME D’OR 2023

Un film procédural plus intimiste que judiciaire. Bravo à tous les acteurs.

par Roberto Tirapelle

SYNOPSIS

Sandra, Samuel et leur fils de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré l’ambigüité: suicide ou homicide? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple.

On a beaucoup parlé de Justine Triet depuis la soirée de clôture du Festival de Cannes qui lui a décerné la Palme d’Or. Tout d’abord parce que les prévisionnistes ont considéré que le prix était attribué à l’actrice allemande Sandra Huller, plutôt qu’au film reçu avec des appréciations très divergentes de la part des critiques. Cela dit, il convient de noter que Triet est le deuxième réalisateur français à remporter le premier prix du Festival après Julia Ducournau, et le troisième après la Néo-Zélandaise Jane Campion. Mais il y a plus encore : dans le cadre du rituel de remerciement pour le prix, Triet exprime vigoureusement des opinions lourdes sur le gouvernement. Naturellement, l’impact médiatique est déclencheur.

Revenant à “Anatomie d’une chute”, l’idée initiale du réalisateur était de “raconter la chute d’un corps, notamment dans ses modalités techniques”, mais elle devient aussi “l’histoire de la chute d’un couple, d’un histoire d’amour”. La carrière cinématographique de Justine Triet est relativement jeune. Elle a débuté dans cette génération de cinéastes français découverte par les Cahiers du Cinéma. Ancienne passionnée et étudiante aux beaux-arts, elle s’est immédiatement orientée vers le documentaire politique, elle est d’ailleurs membre du collectif 50/50. Bref, elle ne cesse de crier sur les injustices sociales et culturelles de son pays. Quatre longs métrages, ce n’est pas beaucoup mais ils reflètent pour l’essentiel les envies de ses protagonistes indépendants.

“Anatomie d’une chute” est essentiellement un film procédural, car ce qui s’est passé, c’est-à-dire la chute de Samuel, le père de Daniel et le mari de Sandra, du dernier étage du chalet, ne permet pas aux enquêteurs de savoir s’il s’agissait d’un suicide ou d’un accident. meurtre. Commencent les expertises, l’autopsie, le choc de Sandra et de son fils devenus aveugles, entre autres, à cause d’un accident des années plus tôt, les interrogatoires de reconstitution. L’affaire n’est pas close et sera jugée. Sandra, bien que libre, est donc placée sous contrôle judiciaire et Daniel aura également le soutien d’une tutrice du ministère (Jehnny Beth). Pour préserver sa vie privée et bénéficier d’une protection juridique, Sandra fait appel à un de ses amis avocat (Swann Arlaud).

C’est ici qu’émerge le cinéma de Justin Triet, particulièrement capable de traiter les frontières entre les questions des enquêteurs et la complexité des personnages. Le film a peut-être le défaut d’être très long, parfois lent, mais il tente d’aborder le procès avec de nombreux indices et aucune preuve réelle. Puis le procès va dévoiler toute la profondeur des personnages : pour Sandra l’existence d’une femme et d’une épouse, pour le fils une confidentialité difficile à révéler et ce n’est qu’à la fin, avec une méthode réelle ou inventée, qu’il arrête le président de la Cour et demandez-lui de pouvoir continuer à parler.

Un jeu d’embrouilles familiales et d’enquêtes, un flux de paroles ininterrompu devant le tribunal (la présence du procureur général, un magnifique Antoine Reinartz, agaçant, bavard, voire un peu ludique) est incroyable, les témoignages des experts, d’un président parfois incrédule, parfois étranger, parfois pragmatique. Certaines vérités éclatent, comme le flash-back de la discussion entre les époux, porté au tribunal par un enregistrement téléphonique la veille du malheur, qui est assez intéressant pour décrire aussi le mari. Mais on n’arrive jamais à une vérité claire, pas même peut-être à la révélation finale de l’enfant. C’est du suspense à plusieurs niveaux.

Un autre aspect intéressant qui ressort du film est que les dialogues sont principalement en français mais qu’un bon 50 pour cent d’anglais est également inclus. C’est une situation qui rend le film et toute l’opacité dans laquelle le film est plongé encore plus complexes. On lit à ce propos une déclaration de Justine Triet : ” Oui, ça continue de nourrir la distance qu’on avec elle, une étrangère jugée en France, qui doit se plier à la langue de son mari et de son fils. Il y a ici une femme construite en plusieurs couches, qui explore les processus. Enfin, je m’intéresse à regarder la vie d’un couple qui parle la même langue, pour que la négociation entre eux soit concrète dans la langue, avec l’idée que la langue soit sur un terrain neutre.”

Les acteurs.

Tout cela est très intéressant à commencer par Samuel qui dans la vie s’appelle Samuel Theis du même nom que son personnage. On le voit peu dans le film mais il est essentiel dans l’histoire, il est toujours évoqué, par contre il est la victime, et il est très captivant. Justine Triet déclare elle-même: ” J’adore sa voix, son apparente douceur qui cache quellque a choisi de beaucoup plus dense, j’avais envie de le filmer.”

(Milo Machado Graner)

Milo Machado Graner (Daniel), le garçon qui joue le fils aveugle, âgé de seulement 15 ans en août et pas du tout nouveau sur le plateau, sait très bien faire ressortir ses vibrations mélancoliques. Le réalisateur affirme : « C’est Jill Gagé (en renfort casting) qui l’a trouvé. La suite entière était impressionnante, comme je ne l’avais jamais vue auparavant. Le premier plan de manière intensive, puis, avec Cynthia, sur un certain ensemble le niveau de malvoyance avec l’aide de personnes spécialisées dans la déficience visuelle. Nous avons opté pour une malvoyance la plus légère possible à incarner, une forte myopie sans attention à la vision périphérique. Il y a ici un enfant avec des capacités intellectuelles et émotionnelles exceptionnelles.

Et puis il y a Antoine Reinartz (L’Avocat général), qui fait entrer le triomphe de la parole dans le prétoire et l’interprète d’une manière qui parvient à briser la solennité d’un procès sans preuves. La Triet en parle ainsi : « Antoine apporte au tribunal une dimension d’arène, la violence civilisée du parquet. »

(Antoine Reinartz)

(Swann Arlaud et Sandra Huller)

Ce n’est pas fini, il y a Swann Arlaud (Vincent, l’ami avocat) qui incarne son personnage avec cet air apaisé et sensible qui sait capter les soutiens envers son amie Sandra. Le réalisateur le caractérise ainsi : “Swann amène une subtilité de jeu, une appréhension, du fait qu’il connait sa client, il se sent envoyé du coup plus en danger. “

Enfin, Sandra Huller (Sandra), la protagoniste, fraîchement récompensée pour sa carrière et issue d’un autre film avec Triet (Cybil), a réussi à porter pratiquement tout le film sur son corps et ses inflexions faciales. Justine Triet l’avoue d’ailleurs : “J’avais envie de retravailler avec elle, après SYBIL. J’écris pour toi, je te connais, il y a une des choses qui m’a poussé à partir. Ces femmes libres qui sont finalement jugées aussi pour la façon qu’elle a de vivre sa sexualité, son travail, sa maternité : je pense que cela va apporter une complexité, une impureté au personnage, qui va totalement révéler la notion de “message”.

Anatomie d’une chute Réalisation : Justine Triet

2h30 – France – 2023 – 1.85 – 5.1 en salle le 23 Août 2023 (Cinéma Les Arcades)

Cast : Sandra Hüller(Sandra) , Swann Arlaud (Vincent) , Milo Machado-Graner (Daniel), Antoine Reinartz (L’Avocat général), Samuel Theis (Samuel), Jehnny Beth (Marge), Saadia Bentaieb (Nour), Anne Rotger (La Président), Sophie Fillières (Monica), Camille Rutherford (Zoé).

Producteurs : Les Films Pelléas, Les Films de Pierre

(Cr Ph. Les Films Pelléas, Les Films de Pierre)