(sur le photo, Denis Podalydès et Léa Seydoux)
Tromperie d’Arnaud Desplechin
Philip Roth au cinéma
par Roberto Tirapelle
SYNOPSIS: Londres – 1987.
Philip est un écrivain américain célèbre exilé à Londres. Sa maîtresse vient régulièrement le retrouver dans son bureau, qui est le refuge des deux amants. Ils y font l’amour, se disputent, se retrouvent et parlent des heures durant ; des femmes qui jalonnent sa vie, de sexe, d’antisémitisme, de littérature, et de fidélité à soi-même…
Voilà des années que Tromperie, livre de Philip Roth, accompagne la vie d’Arnaud Desplechin. Le réalisateur a longtemps réfléchi à la bonne forme et au bon moment pour l’adapter. Le résultat est à découvrir dans le “Cannes Première”.
Arnaud Desplechin déclare:
“Plusieurs fois, je m’y suis essayé sans être satisfait du résultat. J’ai songé à l’adapter pour Denis Podalydès au théâtre, et j’ai encore échoué. Lors du confinement, quelque chose en moi s’est débloqué.”
Prenons en compte comment Philip Roth (décédé il y a trois ans), l’un des écrivains américains les plus connus et les plus récompensés de sa génération et considéré comme l’un des plus importants romanciers juifs anglophones, a grandi dans sa vaste production dans l’affrontement entre admirateurs et détracteurs. A ce jour, sa « nouvelle sorte de synthèse » – comme le définit le critique Harold Bloom – est encore plus problématique si elle est portée au cinéma. Pensez par exemple à « The Human Stain » de Robert Benton (excellente transposition à certains égards), « Lessons of Love » d’Isabel Coixet, « American Pastoral » d’Ewan McGregor, ou la transposition destructrice de scénaristes légendaires comme Ernest Lehman avec un film “La Complainte de Portnoy” considéré entre autres comme l’un de ses romans les plus célèbres.
“Tromperie”, en revanche, fait exception aux qualités bien connues d’Arnaud Desplechin. qui a su traduire le langage dialogué de Roth au cinéma. C’est un film tourné entièrement en intérieur, le bureau de l’écrivain, un décor intimiste mais où la caméra et le cinéma trouvent un espace, sur les objets, sur les gros plans des personnages, sur leurs corps. La dialectique réciproque des interprètes trouve la synthèse entre matière, concept, pensée, surface, amour, égoïsme, trahison, antisémitisme, libéralisme. Même les intérieurs sont peu nombreux : le bureau dans lequel le protagoniste Philippe rencontre sa maîtresse et dont nous avons parlé au début ; la chambre qu’il partage avec sa femme ; l’hôpital où gît une vieille flamme malade; la salle d’essai le seul choeur. C’est une construction du décor que Desplechin adapte à la narration/discussion de Roth (quand elle est comprise), et devient l’action/action du récit, de l’espace-cinéma.
Sur les acteurs Desplichin déclare:
“Je n’ai pas voulu travailler avec Léa et Denis ensemble avant le tournage. Ils ont lu quelques scènes ensemble et voilà tout. Mais j’ai lu toutes les scènes du film avec Léa, puis avec Denis, séparément. Avec Julie Peyr, nous avons respecté chaque mot du livre. Sur le plateau, Léa Seydoux parvenait toujours à nous surprendre, Denis et moi. À chaque scène, elle racontait une autre facette de son personnage. Denis la suivait comme l’écrivain suit son personnage, sans jamais le précéder. Chaque jour du tournage, je racontais à Denis une petite histoire drôle.”
Les interprètes sont enchanteurs, de Denis Podalydes (Philip) que Desplechin a retrouvé 25 ans après son interprétation dans “Comment je me suis disputé…”, à Léa Seydoux (l’amante anglaise) qui dans cette interprétation confirme sa détermination à surmonter les succès déjà obtenu dans sa carrière : des gros plans parfaits du jeu d’acteur, de l’élégance, du charme. Emanuelle Devos et Anouk Grinberg étaient également très bonnes. Ainsi les mots du cinéma de Roth et Desplechin ont trouvé âme et chair.
Une question à Léa Seydoux:
Dans “Tromperie”, la douceur de votre voix est saisissante, presque hypnotique, dès la scène d’ouverture où vous vous adressez à la caméra. Était-ce une donnée de départ ?
“J’ai eu peu de rôles bavards au cinéma, de plus avec un texte aussi exigeant. Il fallait que les mots soient exprimés de manière incisive et rapide. On a sûrement plusieurs voix selon les périodes et les situations dans l’existence. Ma voix dans Roubaix, une lumière est évidemment différente de celle que j’ai dans Tromperie. Ma voix dans ce film est plus proche de la mienne dans la vie”.
Réalisation : Arnaud Desplechin – Producteurs : Why Not Productions – Distribution: Le Pacte
Cast : Léa Seydoux, Denis Podalydès, Emmanuelle Devos, Anouk Grinberg et Rebecca Marder de la Comédie Française.
Genre : Drame – Nationalité : France – Année : 2021
(cr.ph. Shanna Besson)