(cr. ph. OMC Marco Borrelli)

L’opéra baroque de Haendel triomphe avec Cecilia Bartoli

par Roberto Tirapelle

Georg Friedrich Haendel: Prémisse 

Nous ne volulons pas paraître rhétorique mais nous voulons faire une prémisse sur l’immensité de Haendel: virtuose hors pair à l’orgue et au clavecin, Haendel dut à quelques-unes de ses œuvres très connues — notamment son oratorio Le Messie, ses concertos pour orgue et concerti grossi, ses suites pour clavecin (avec sa célèbre sarabande de Haendel), ses musiques de plein air (Water Music et Music for the Royal Fireworks) — de conserver une notoriété active pendant tout le xixe siècle, période d’oubli pour la plupart de ses contemporains. Cependant, pendant plus de trente-cinq ans, il se consacra pour l’essentiel à l’opéra en italien (plus de 40 partitions d’opera seria), avant d’inventer et promouvoir l’oratorio en anglais dont il est un des maîtres incontestés.

A l’Opéra de Monte-Carlo, sous la nouvelle direction de Cecilia Bartoli, s’ouvre la saison ALCINA de Haendel, avec l’artiste elle-même en vedette. Il est réalisé pour la première fois sous forme scénique.

ALCINA Synopsis:

Ruggiero a rencontré la reine Alcina et succombé à ses charmes. Son royaume est le royaume magique de la beauté et de l‘illusion. Ensorcelé par Alcina, Ruggiero a complètement oublié son passé et son épouse Bradamante. Alcina, pour qui l‘amour jusqu‘alors n‘était qu‘un jeu, est saisie d‘une passion profonde et à ce jour encore inconnue. Accompagnée de leur ami commun Melisso, Bradamante est partie à la recherche de Ruggiero. Elle est déterminée à le reconquérir. Par précaution, elle s‘est  déguisée en son frère jumeau Ricciardo.

NOTES D’écoute:

L’inauguration de la Saison avec Alcina a déjà conquis l’aura du triomphe grâce à une distribution technique et artistique construite par Cecilia Bartoli, experte du baroque, en pleine synergie.

Commençons par la scénographie de Johannes Leiacker, décorateur somptueux ; des costumes d‘Ursula Renzenbrink, précieux pour l’ancien, taillés pour le moderne; par les lumières de Bernd Purkrabek qui illumine la scène avec un équilibre parfait.

Il faut ensuite considérer l’exécution musicale confiée à Gianluca Capuano, désormais très bien implanté dans le genre baroque. Il a beaucoup étudié et concerté sur cette musique, il a également réalisé Ariodante à Monte-Carlo et un CD avec Varduhi Abrahamyan. Et les Musiciens du Prince sont son orchestre. Chez Alcina sa direction brode note après note, il en suit une trace aussi bien dans la musique que dans les récitatifs où même lorsqu’il ne joue qu’un seul instrument c’est comme si l’air du théâtre et le chant s’adoucissaient sur la scène. Dans ce cas, le baroque devient une forme musicale dans laquelle la pureté de l’instrumentation est l’école d’autres histoires de compositeurs ultérieurs. Les instrumentistes des Musiciens du Prince (nous croyons 36) répandent des frissons qui effleurent la peau de chaque spectateur. Dommage qu’on ne les voie pas.

Le metteur en scène Christof Loy, qui a déjà atterri à Monte-Carlo avec Ariodante, transforme le royaume magique d’Alcina en une vision de théâtre métaphorique. Son idée est de montrer l’identité de Cecilia Bartoli, à la fois en tant que rôle central et en tant qu’artiste incontestée. Alcina est probablement une héroïne et s’immerge parfaitement dans le monde magique de l’Arioste où le magicien utilise ses pouvoirs illusoires. Christof Loy le place juste entre les pouvoirs d’Orlando et la sentimentalité d’Ariodante. Loy amène l’artiste dans le théâtre et le théâtre dans l’artiste pour arriver à l’intimité compositionnelle haendélienne.

Alcina est aussi une œuvre chorale et chaque artiste a ses airs distincts. On dira que Varduhi Abrahamyan et Philippe Jarousski ont eu le succès le plus éclatant, quoique attendu.

( Varduhi Abrahamyan, cr ph Marco Borrelli)

Varduhi Abrahamyan, mezzo-soprano arménienne, est un extraordinaire Bradamante, voix chaude et sombre, qui dans l’aria “Vorrei vendicarmi” devient un animal sur scène. Connue depuis ses débuts dans les salles françaises, elle partage Alcina depuis 2014.

(Philippe Jarousski et Cecilia Bartoli, cr.ph. Marco Borrelli)

Philippe Jarousski, contre-ténor français, est un délicieux Ruggero, que Haendel avait créé pour le castrat Giovanni Carestini. Un artiste au bagage immense de gravures, une voix candide et éthérée qui conquiert la partition qui lui est dédiée, notamment dans l’air “Verdi prati, selve amene”, l’adieu de Roger à l’île d’Alcina.

Voici une déclaration de Jaroussky lui-même :
“J’adore chanter Alcina avec Cecilia, ne serait- ce que pour me tenir dans les coulisses et l’écouter dans son rôle emblématique. Je pense que c’est peut-être la septième fois ! En fait il y a peu de rôles principaux qui conviennent à ma tessiture vocale et à ma personnalité. Deux chez Haendel me correspondent : Sesto dans Giulio Cesare et Ruggiero dans Alcina. Ruggiero a un côté rageur bien connu et un autre proche d’Orphée, qui transparaît dans les célèbres arias « Mi lusinga il dolce affetto » et « Verdi prati ». Il est cependant difficile de rendre Ruggiero sympathique, et je travaille dur afin de faire ressortir les raisons pour lesquelles c’est le seul homme qu’Alcina ait jamais vraiment aimé.”

A noter également Sandrine Piau, soprano et harpiste française, une Morgana très intéressante dans les parties mélancoliques, également avec une discographie remarquable. Maxim Mironov, ténor russe, se concentrait normalement sur un large répertoire de bel canto. On le trouve pour faire Oronte et il le fait avec un goût techniquement parfait. Péter Kalman, baryton-basse hongrois, joue le rôle de Melisso avec une voix profonde, également avec un répertoire varié et avec des inserts spécifiques à Haendel.

Pour le protagoniste, ainsi que le nouveau réalisateur, parlons-en maintenant. Nous faisons référence à Mme Cecilia Bartoli, dont nous avons déjà anticipé le triomphe, qui se démarque de tout et de tous. On connaît son expérience incontestée sur ces genres. On dit d‘Alcina qu’elle est l’un des plus beaux rôles du répertoire lyrique féminin, avec six airs à chanter, elle a certainement toujours inspiré Cecilia Bartoli. Les phrasés très élégants et raffinés, les pianos les fortissimos, mais aussi les silences se répandent dans la salle des frissons qui ressemblent aux fléchettes chantées des divinités.

Nous sommes sûrs que l’avenir de la Saison de l’Opéra de Monte-Carlo, déjà complet depuis un certain temps, continuera à assurer cette tâche historiographique et honorifique des théâtres français et internationaux qui se transmet depuis 1879 avec Charles Garnier.