FESTIVAL DE CANNES – Cannes Première
Année de production: 2024 – Pays: France, Cambodge, Taïwan, Qatar, Turquie
Durée: 113 minutes- sortie en salle: 05.06.2024
(par Roberto Tirapelle)
La dernière œuvre de Rithy Panh, également située au Cambodge, est une représentation macabre, sans aucune vision d’horreur, du régime des Khmers rouges. Des acteurs intenses.
Tout d’abord, on commence à mieux connaître le réalisateur Rithy Panh, malgré le fait qu’il soit assidûment invité au Festival de Cannes, et donc déjà connu en France. Originaire de Phnom Penh au Cambodge, il a été interné à l’âge de 11 ans dans le cadre de la révolution des Khmers rouges (de 1975 à 1979) comme tous les Cambodgiens et envoyé dans des camps de travail. En 1979, il réussit à s’échapper et arrive au camp de réfugiés de Mairut en Thaïlande. En 1980, il s’installe en France et en 1985 il entre à l’IDHEC, l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques. Son activité au cinéma est dédiée à son pays d’origine déchiré par le génocide de ses compatriotes en quatre ans. On estime que deux millions de Cambodgiens ont été massacrés. Rithy Panh déclare : “Sans cette guerre, je ne serais jamais devenu réalisateur. Je témoigne de la restitution aux morts de ce que les Khmers rouges leur ont volé. Je suis un transmetteur de mémoire redevable à ceux qui sont décédés.”
Nous disions que Rithy Panh a été présent à Cannes à plusieurs reprises : en 1994, en 1998, en 2003 avec « S21, la machine de mort Khmere rouge », film qui a remporté le prix du meilleur documentaire européen à la Berlinale ; en 2005 avec « Les Artistes du théâtre brûlé », en 2011 avec « Duch, le maître des forges de l’enfer », en 2013 avec « L’Image manquante », il remporte le prix Un certain regard, un Oscar en 2014 et un César en 2016, puis de nouveau à Cannes en 2016 et également à Venise, Toronto, Berlin.
Le voici de retour à Cannes dans la section “Cannes Première” avec “Rendez-vous avec Pol Pot”, un travail inlassable sur la mémoire de ce que fut la folie meurtrière de Pol Pot, le sanglant chef des Khmers rouges qui avait également assumé pseudonymes qui sont mentionnés dans les films, notamment « Frère numéro 1 ». Dans cette situation, il perd également les membres de sa famille.
Avec ce film il choisit la fiction mais en réalité cette œuvre devient aussi une documentation non seulement du régime mais du despote Pol Pot qui sera présent mais toujours dans l’ombre. Pour construire le film, il s’est librement inspiré du livre d‘Elizabeth Becker, « Les larmes du Cambodge : l’histoire d’un autogénocide ». Le scénario a été écrit par le réalisateur avec Pierre Erwan Guillaume. Elizabeth Becker est une journaliste et auteure américaine, correspondante de guerre au Cambodge pour le Washington Post. Elle était l’une des deux journalistes occidentales autorisées à se rendre au Kampuchéa démocratique en 1978, au cours de laquelle elle s’est entretenue avec Pol Pot et Ieng Sary (vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères).
(Cyrill Guei)
L’histoire du film comprend donc : Paul Thomas, photographe (Cyril Gueï), Lise Delbo (Irène Jacob), journaliste experte, Alain Carillou (Grégoire Colin), professeur et intellectuel, militant d’extrême gauche, ancien ami professeur de Pol Pot, ils sont invités par le régime et pourront peut-être avoir une rencontre/entretien avec Pol Pot. La visite est strictement encadrée, le film se développe en documentant des films de l’époque, des discours du leader à travers des haut-parleurs et des figurines miniatures sculptées et peintes. représentant la population, les artistes, les torturés, le Frère numéro 1, et aussi les trois invités. bref, une sorte de représentation macabre jouée avec une fine déduction, sans images cruelles et avec de nombreux silences. Le panorama de Phnom Penh est complètement vide, les maisons détruites, seul le Palais du Régime fonctionne désolé.
Petit à petit, les trois protagonistes se rendront compte, en fonction de leur traitement et de la réalité qu’ils voient, qu’ils devront changer de manière traumatisante leur vision de ce monde. En effet Paul Thomas, le photographe, ne pouvant suivre son travail (il avait réussi à photographier des cadavres dans le marais) tente de vérifier d’autres expédients ; Liza, la journaliste, pose des questions inconfortables à Pol Pot et est expulsée ; Alain toujours fidèle à son vieil ami Pol Pot continue de croire en son idéologie.
La mise en scène
Rithy Panh compose une mise en scène en mélangeant couleurs réelles, archives noir et blanc, superpositions, environnements miniatures. Le réalisateur déclare : « C’est une forme d’écriture que j’aime depuis longtemps. Je me permets d’être l’élève de Dziga Vertov ou de Chris Marker, cela me permet de réfléchir à un cinéma plus organique.Le cinéaste poursuit : « Le génocide, c’est aussi le silence. Nous ne voyons rien, nous n’entendons rien. Rien. Aux grandes terreurs correspondent souvent un silence terrible et la ville de Phnom Penh, vidée de ses habitants et totalement silencieuse, témoigne d’un anéantissement absolu.
Les acteurs
“Les acteurs ont été choisis au fil de réunions”, précise le réalisateur. « J’opère à l’instinct, sur ce qui se passe dans nos échanges et ce qu’ils proposent lorsque nous sommes sur place. » continue Rithy Panh – “Je leur laisse beaucoup de liberté de jeu, Irène, Cyril et Grégoire, on les envoie sur un bitume, au fond du Cambodge, à cinquante degrés, et ils sont contents de jouer et d’interpréter le scénario !”
Cyril Gueï est un artiste ivoirien qui a fait une immense carrière au cinéma, au théâtre, à la télévision et dans les séries. Sa participation passionnée au personnage est visible.
On ne présente plus Irène Jacob, actrice franco-suisse. Fort de la carrière qu’il a derrière lui, il conçoit son rôle avec une grande efficacité, distribuant les ressources pour la synergie des autres, contribuant à fusionner le trio dans le contexte de l’environnement.
(Irène Jacob)
(Grégoire Colin)
Même Grégoire Colin n’est plus à citer puisque son activité cinématographique a débuté dans les années 90 et qu’il est également devenu l’acteur fétiche de Claire Denis. Dans le film il parle très peu, il observe, réfléchit, prend des notes, tente de s’adapter au régime pour mieux comprendre les spirales de son idéologie. Il sera trahi.
RENDEZ-VOUS AVEC POL POT un film de Rithy Panh
Casting:
Irène Jacob : Lise Delbo – Grégoire Colin : Alain Cariou – Cyril Gueï : Paul Thomas – Bunhok Lim : Sung – Somaline Mao : Ieng Thirith
Image Aymerick Pilarski, Mesa Prum – Montage Rithy Panh, Matthieu Laclau – Son Nicolas Volte, Tu Duu-Chih, Eric Tisserand, Tu Tse-Kang – Décors Mang Sareth, Sou Kimsan, Chanry Krauch – Costumes Ariane Viallet
Une production CDP et Anupheap Production, TAICCA, Doha Film Institute, TRT Sinema, LHBx An attitude, Obala Centar.
Distribution Dulac Distribution
(cr ph. Dulac Distribution)