Un film raté car gùché par un lourd formalisme. Diane Kruger halluciné e magnifique.
par Roberto Tirapelle
Synopsis
Estelle est commandant de bord long courrier, au professionnalisme hors pair, elle mĂšne une existence parfaitement rĂ©glĂ©e aux cĂŽtĂ©s de Guillaume, son mari aimant et protecteur. Tout semble aller pour le mieux mĂȘme si les vols et les jet lag Ă rĂ©pĂ©tition commencent Ă perturber le rythme biologique de la jeune femme, et particuliĂšrement son sommeil. Un jour, par hasard, dans un couloir de lâaĂ©roport de Nice, elle recroise la route dâAna, photographe avec qui elle a eu une aventure passionnĂ©e vingt ans plus tĂŽt. Estelle est alors loin dâimaginer que ces retrouvailles vont lâentraĂźner dans une spirale cauchemardesque et faire basculer sa vie dans lâirrationnel…

Pour Yann Gozlan, il semble que le thriller soit vĂ©ritablement une vocation. En effet, si Visions explore les thĂšmes du contrĂŽle et de la dĂ©sintĂ©gration, certains de ses films prĂ©cĂ©dents comme Un homme idĂ©al, thriller psychologique traitant de la spirale du mensonge et de l’imposture ou Boite noire, dans lequel un agent du Bureau d’ Les enquĂȘtes et d’analyses pour la sĂ©curitĂ© de l’aviation civile est chargĂ© d’enquĂȘter sur un accident aĂ©rien, ont des caractĂšres forts et fragiles Ă la fois.
Au-delĂ de ces questions, comment formuler les Visions ? Selon le rĂ©alisateur : “Je dirais que sous couvert de thriller paranoĂŻaque, c’est avant tout un film sur la passion et l’obsession amoureuse.”
Le film commence bien: une femme apparaĂźt sortant de l’eau, sur le sable elle aperçoit deux ombres en haut du chemin. Les ombres disparaissent alors et la femme se dirige vers une Ă©trange maison abandonnĂ©e. Ce dĂ©but s’annonce trĂšs bien, on voit la vision cinĂ©matographique de Yann Gozlan, la beautĂ© des plans, la douceur des mouvements de camĂ©ra qui Ă©voquent des souvenirs hypnotiques du cinĂ©ma d’Hitchcock, le regard toujours hallucinĂ© de la protagoniste (une trĂšs bonne Diane Kruger). Lorsque la vision de Gozlan s’enfonce dans le tourbillon du formalisme, elle devient alors un film trop imparfait et ne supporte pas la comparaison avec ses prĂ©dĂ©cesseurs.
Gozlan, qui a Ă©crit le film avec plus d’un scĂ©nariste, Ă partir d’une idĂ©e originale de Michel Fessler, a ensuite dĂ©veloppĂ© le texte avec AurĂ©lie Valat et Audrey Diwan, il y a la version finale avec Jean-Baptiste Delafon, ici il a utilisĂ© un fĂ©tichisme cinĂ©matographique comme le avion, et ce n’est pas la premiĂšre fois. Dans ce cas le directeur dĂ©clare: âLe fuselage, le mĂ©tal, ses courbes le rendent particuliĂšrement cinĂ©gĂ©nique… Mais il y a plus que ça. Par sa capacitĂ© Ă voler dans les airs, lâavion nous fascine. Il incarne la puissance, la vitesse et les dĂ©fis technologiques. Mais câest Ă©galement, un instrument de danger. Câest cette dualitĂ© lĂ â Ă la fois objet de puissance et de danger â qui rend lâavion si passionnant Ă filmer.â

Dans le film, le rĂ©alisateur a utilisĂ© des focales courtes, ce qui le rend intĂ©ressant car il concentre la visualisation sur le protagoniste. âLes courtes focales â declare Gozlan – ancrent plus prĂ©cisĂ©ment les personnages dans leur environnement. Elles renforcent la perspective des dĂ©cors alors que les longues focales annihilent la profondeur et lâespace.â Continue: âJâavais besoin que lâenvironnement dans lequel Estelle Ă©volue, lâĂ©crase tout en lâenfermant dâoĂč le recours aux courtes focales.â C’est pourquoi il a filmĂ© subjectivement : âEn outre, lâessentiel du film est vu par les yeux de lâhĂ©roĂŻne. Pour atteindre ce parti pris de subjectivitĂ©, jâai utilisĂ© des focales trĂšs courtes qui nĂ©cessitent une grande prĂ©cision dans le placement des comĂ©diens et de la camĂ©ra.â
Et on en vient Ă l’expressionnisme du film, aux insertions de jeux de visions, de regards, de prĂ©monitions, de rĂȘves, qui Ă notre avis est le moins rĂ©ussi, il alourdit le rythme et le rend plutĂŽt inutile. A cet Ă©gard, le directeur se dĂ©fend en dĂ©clarant: âPourquoi ces yeux ? Le film sâintitule VISIONS, il met en scĂšne une pilote pour qui la vue est fondamentale dans lâexercice de sa profession. Ensuite, lâĆil est un motif visuel rĂ©current tout au long du film mais câest aussi la porte dâentrĂ©e vers la psychĂ© et lâinconscient qui sont au cĆur de lâhistoire. Par ailleurs, je souhaitais que ces trĂšs gros plans macros dĂ©gagent un malaise ; malaise qui renvoie Ă lâĂ©trangetĂ© que va vivre lâhĂ©roĂŻne dont la perception est dĂ©rĂ©glĂ©e. Enfin, ces yeux en trĂšs gros plan, ressemblent parfois Ă des planĂštes, des mondes dans lequel chaque personnage est enfermĂ©â.
Diane Kruger
Un point important en faveur du film est reprĂ©sentĂ© par le choix de Diane Kruger, une splendide actrice allemande avec une carriĂšre de vingt ans, et lĂ aussi elle prouve qu’elle est Ă la hauteur aussi bien dans les Ă©preuves physiques (prĂ©paration minutieuse Ă la natation car cela l’activitĂ© parvient Ă la dĂ©fendre des dangers) et ceux de l’inconscient. Elle rappelle au rĂ©alisateur Tippi Hedren et Grace Kelly, actrices hitchcockiennes lĂ©gendaires, elle possĂšde un magnĂ©tisme surprenant et une photogĂ©nicitĂ© spectaculaire.
Diane â dit Gozlan – : âincarne, Ă mes yeux, lâhĂ©ritiĂšre de la figure hitchcockienne. Ensuite, avec son regard dâacier et cette force naturelle quâelle dĂ©gage Ă lâĂ©cran, Diane Ă©tait parfaite pour incarner cette femme pilote qui nous impressionne au dĂ©but du film par sa puissance et sa maĂźtrise. Mais, jâai tout de suite vu quâelle avait aussi en elle, une fragilitĂ©.â

(Diane Kruger)

Les deux autres acteurs sont Ă©galement intĂ©ressants mĂȘme si le poids du film est portĂ© par Diane Kruger. Mathieu Kassovitz est l’acteur idĂ©al pour ĂȘtre d’abord protecteur et confiant puis ensuite dur et menaçant, une figure ambivalente; Marta Nieto avait raison, l’actrice s’est rĂ©vĂ©lĂ©e ĂȘtre l’interprĂšte idĂ©ale d’Ana, femme trouble et insaisissable.
Visions un film de Yann Gozlan
2 h 03 min · au cinÚma 6 septembre 2023 (France)
Avec Diane Kruger, Mathieu Kassovitz, Marta Nieto
Liste Technique: Produit par Eagles Team Entertaiment, 24 25 Films
Image Antoine SANIER – Son Olivier DANDRE – Costume Olivier LIGEN –
Maquillage/coiffure Fabienne ROBINEAU -DĂ©coration Thierry FLAMAND – Stephan RUBENS

(Cr Ph. AlloCiné)